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vendredi 23 décembre 2011

Apple Brains, Get Fruity!!

Vegetarian indie-rock



Les baby-sitters fans de Jonathan Richman en ont un jour rêvé, tout comme n’importe quel parent branché : distraire leurs marmots avec un bon album d’indie-rock parfaitement adapté, si possible composé par un végétarien californien obsédé par la bonne bouffe. C’est ce qu’a réalisé l’enthousiaste Allen Bleyle, en l’espace de 12 chansons barrées et fruitées, avec son projet Apple Brains. Car si les comptines s’adressent en premier lieu aux bambins (Bleyle fait d’ailleurs le tour des écoles primaires et des camps de vacances avec sa guitare), nul doute que n’importe quel indie-rocker de base trouvera son compte dans ces sucreries DIY parsemées de bruits bizarres. En témoigne le pressage de l’album en cassette chez Burger Records et, plus récemment, en vinyle chez  les garageux de Slovenly Records.




Si Bleyle milite ardemment pour une nutrition saine et équilibrée on se demande néanmoins si ces chansons n’ont pas été composées pendant une overdose de sucre. Prenez par exemple "Peanut butter & jelly how they met song" ou encore l’hystérique "Lots of different colors", qui auraient très bien pu résulter d’une jam sous acide entre Bob l’Eponge et Dora l’exploratrice, le tout sous l’œil pervers de Wayne Coyne des Flaming Lips. Heureusement derrière cet entassement de bruitages rigolos (aboiements, splash, grognements, et j’en passe), de toy instruments (vous trouverez des soli de kazoo) et de délires dadaïstes, se cachent quand même des mélodies diablement efficaces qui empruntent aussi bien à l’easy-listening qu’à l’indie-rock lo-fi des années 80, ou à l’anti-folk. Un mélange assez psychédélique où l’on croirait entendre les Camper Van Beethoven ("Apple x3") ou l’ami Jeffrey Lewis ("Wonder Worm"). Et notre joyeux troubadour pense aussi aux enfants plus calmes, en balançant quelques petites balades toutes jolies, comme l’irrésistible ode à la mangue "A mango is a precious egg to be cherished".

     Il est difficile de résister à l’univers d’Allen Bleyle, qui a le mérite de produire une musique inspirée et facile d’accès, sans prendre pour autant les gosses pour des débiles (l’histoire d’un ver de terre super-hero c’est quand même autre chose qu’une taupe chantante attardée). Un univers non-hermétique qui pourra aussi faire swinguer vos vieux os.
Punching Joe

NB : Ne vous étonnez pas trop quand même si, plus tard, votre enfant/petite cousine/petit frère/or whatever, vous réclame du Zappa pour ses 10 ans.
Une interview pour en savoir plus le boy


"Apples x3"

lundi 5 décembre 2011

Cosmonauts, New Psychic Denim, EP

Acouphènes

Originaires d’Orange County, au sud de Los Angeles, les jeunes Cosmonauts débarquent en 2010 avec un premier LP, Cosmonauts, publié chez BurgerRecords. On connait bien le label pour son excellent catalogue en matière de garage mais aussi, et surtout, pour sa particularité de ne produire quasiment que des cassettes. Aussi cool soit-il, ce format reste quand même, avouons-le, un truc de geek. Alors quand, en plus, ce premier LP n’est édité qu’à 250 exemplaires, là on est carrément dans l’élitisme (c’est d’ailleurs ce qu’explique bien cette chronique de PlanetGong).

Rebelote en mars dernier avec l’EP New Psychic Denim. Mais cette fois le groupe a quand même la bonne idée de poster le disque sur son bandcamp, où on peut donc l’écouter et aussi le télécharger. Huit chansons d’une qualité affolante qui en font l’un des meilleurs albums de garage/psyché de 2011.


Le son des Cosmonauts est la rencontre explosive entre le rock répétitif des Spacemen 3, le psychédélisme old-school des 13th Floor Elevators et les garage-uppercut de Thee Oh Sees. Dès le premier titre, "Psychic Denim", on comprend que les californiens sont du genre à jouer à bloc, « in the red » quoi. Avec ses guitares assourdissantes et sa rythmique éléphantesque la chanson se positionne dans le peloton de tête des garage-songs les plus brutales de cette année, non loin de "Blood on the wall" de Blasted Canyons. Un son abrasif donc, que le groupe se défend d’obtenir depuis des pédales d’effets. Comme on l’apprend dans cette interview, ce qu’ils aiment c’est pousser leurs amplis à fond : « les Kinks n’obtenaient pas leur son avec des pédales, ils foutaient juste leurs amplis en l’air ! C’est plus cool comme ça ». Difficile de reprendre son souffle dans ces conditions, avec des pistes toutes plus asphyxiantes. Prenez "Dreamboat", avec son riff sixties d’abord docile mais dont la répétition maniaque finit par nous anéantir. Ou encore "Please Don’t Make Me Blue" où le chant, même hurlant, peine à se faire une place tant les saillies soniques sont extrêmes. Ils se permettent même une incroyable reprise de "Little Honda" des Beach Boys, une chanson déjà sérieusement violentée par Yo La Tengo il y a 14 ans.

Expérience sonore radicale, New Psychic Denim est le genre de disque dont l’écoute devient vite obsessionnelle. Les Cosmonauts retranscrivent leur fougue adolescente sur des chansons insouciantes et imparables. Une vraie leçon de rock’n’roll !
Punching Joe



Petit concert qui s'ouvre sur "Psychic Denim"

dimanche 27 novembre 2011

Slumberland records 3/3 : Spectrals, Bad Penny

Voici enfin la dernière partie de notre dossier sur les sorties récentes du label californien Slumberland Records. Après VeronicaFalls et Big Troubles on s’intéresse ici à Spectrals, le projet musical de Louis Jones qui vient de sortir son premier LP, Bad Penny. Un disque attendu car, malgré son jeune âge (21 ans), le poupon de Leeds à la chevelure carotte a déjà fait son trou dans le milieu, notamment grâce à de nombreux singles et un EP publiés sur des labels réputés (Captured Tracks, Wichita, Sex Is Disgusting).


Avec ce passage au format long, Spectrals allait-il être capable de garder l’efficacité qui faisait son charme jusque là ? La réponse est plutôt mitigée, mais cela n’enlève rien à la qualité globale de Bad Penny qui brille par d’autres aspects, au-delà de son petit manque d’immédiateté.

Le disque commence parfaitement avec "Get a grip" où Louis Jones fait part de toute sa classe pour l’écriture de pop-songs délicates et mélancoliques. Une guitare cristalline et un chant de crooner adolescent (très proche de celui d’Alex Turner des Arctic Monkeys) font de la chanson un petit tube autiste imparable. Dans la foulée "Lockjaw" maintient le niveau avec une sensibilité et une pudeur magnifiques. Quelques notes de guitare slide viennent porter cette voix bâti pour chanter la tristesse. Passé ces deux perles inaugurales Bad Penny perd malheureusement de sa sincérité et de son expressivité à cause d’une production à côté de la plaque, où des instrumentalisations pas très subtiles relèguent l’émotion au second plan ("You don’t have to tell me", "Big Baby"). Mais très vite Jones revient à des cadences sereines et opère astucieusement un virage vers des ambiances plus joyeuses. Il se lâche même, et regagne instantanément notre attention. On pense par exemple à "Many Happy Return", un petit slow basique mais imparable, ou à "Doing Time", une chanson pop délicieusement ringarde avec son piano et ses chœurs enfantins. Il réussit même à allier ces sonorités sixities de la pop-sucrée avec la mélancolie du début de l’album, dans la superbe "Luck Is There To Be Pushed".

Vous l’aurez compris, sur ses 11 titres, Bad Penny ne possède que quelques moments véritablement marquants. Mais au-delà de ce manque de relief, Bad Penny confirme un compositeur talentueux qui avec une production plus léchée et quelques gimmick imparables serait capable de livrer un album pop parfait. En attendant, on peut tout de même se délecter de ce LP plus que correct et très touchant. 
Punching Joe
Retour sur les deux premiers volets du mini-dossier :



Le clip de "Get a grip"

jeudi 17 novembre 2011

Slumberland records 2/3, Big Troubles, Romantic Comedy


Deuxième étape (après Veronica Falls) dans l’exploration des sorties récentes de Slumberland Records avec Big Troubles, un quatuor originaire du New-Jersey. En activité depuis 2009, Big Troubles a d’abord publié sur des compilations avant de réaliser un premier LP, Worry (Olde English Spelling Bee). Cet album se caractérise par un enregistrement très lo-fi et des sonorités proches de la noise-pop, du shoegaze. L’influence de My Bloody Valentine est en effet flagrante. Avec Romantic Comedy ils délaissent ce son un peu brouillon et les ambiances éthérées pour livrer un album d’indie-pop plus classique mais de très bonne facture.


Romantic Comedy va en rebuter plus d’uns, c’est certain. Le son un brin ringard, très connoté années 80, est complètement assumé par le groupe. Mais le talent d’Alex Craig et de Ian Drennan pour composer de très bonnes chansons évite au disque de tomber dans la pâle copie. Leur force c’est justement de s’amuser à titiller la frontière du mauvais goût sans jamais la franchir. Cela passe, entre autres, par une production assez ronflante, avec la mise en avant d’un chant gorgé de spleen (avis aux fans de Girls et de Christopher Owens) et des guitares au son vaporeux, sans parler de l’omniprésence de la caisse claire. Et malgré tout ça, difficile de résister au charme de "She smiles for pictures" ou "Misery". Et que dire du chef d’œuvre de désuétude qu’est "Sad Girl". Avec son petit riff délicat, ses paroles cul-cul et son apothéose au xylophone, la chanson est un plaisir coupable irrésistible. Le genre de truc qu’on voudrait chanter avec son amoureux/se en s’empiffrant de chamallows roses, après avoir regardé une comédie indie avec Zooey Deschanel et/ou Michael Cera (oui j’assume).
Mais pour en revenir aux choses sérieuses, si l’on doit mettre quelques balises, voilà ce qu’on peut dire : les Sarah Records‘s addicts seront charmés par la fraîcheur affichée du groupe ("Softer than science"), les lads ne jurant que par la Brit-pop apprécieront des compo bien carrées ("Time Bomb") et enfin, les fans des Smiths succomberont à un certain romantisme exacerbé et délicieux ("Never mine"). Vous l’aurez compris ces petits yankees auraient bien aimé naître de l’autre côté de l’Atlantique.
Romantic Comedy est donc un bon disque, avec peu de déchets. Chaque chanson, au premier abord un peu boursoufflée, possède ce petit truc en plus indescriptible auquel il est difficile de résister. Pour abuser de l’imagerie sucrée, disons que c’est comme se retrouver devant un plateau de pâtisseries dégoulinantes : on feint d’abord l’écœurement en public, pour rester digne, après quoi, si on en vient à se retrouver seul, on avale tout, et même, on s’en lèche goulûment les doigts.
Enfin, pour conclure plus sobrement disons que seul le titre de cet album de Big Troubles en résume parfaitement le divin contenu. 
Punching Joe
La suite :
->Slumberland part 3



Le clip de "Sad Girl"

dimanche 13 novembre 2011

Slumberland Records 1/3 : Veronica Falls


Remis à la mode il y a quelques années par Deerhunter et consorts, le revival indie-pop des 80’s-90’s n’a jamais semblé autant d’actualité. Malheureusement pour les nostalgiques de Sarah Records et du shoegaze, la balance semble plutôt pencher du côté de la quantité que de la qualité. Beaucoup de groupes semblent n’avoir gardé que les postures de leurs aînés. Sympa en apparence donc, mais pas très inspiré musicalement. Heureusement on peut se réjouir de l’existence de labels comme Slumberland (fondé au Etats-Unis, entre autres par Mike Schulman, guitariste de Black Tambourine) et de leur excellent catalogue en matière d’indie-pop contemporaine (à l’exception peut-être de the Pains of Being Pure at Heart qui rentrent plutôt dans la catégorie des groupes citée ci-dessus).

Pour vous donnez envie de mieux connaître le label on a décidé de lui consacrer une série de trois articles, chacun voué à une sortie récente : les magnifiques Veronica Falls, les sensibles Big Troubles et le bambin de Spectrals. Trois projets qui ont une envie en commun : opérer un retour à un songwriting pop, simple et catchy.


Première étape de ce triptyque avec les plus beaux, Veronica Falls. Après quelques singles fortement réjouissants, les quatre écossais installés à Londres ont enfin sorti leur premier album, s/t, en octobre dernier. Une écoute suffit pour être entièrement conquis par ce joyau de pop instantanée. On est d’abord surpris par l’impression de fraîcheur que dégage le groupe. Une sensation qui est apportée par un mélange parfait entre une écriture ciselée, up-tempo, avec des refrains entêtants, et des ambiances romantiques, voire gothiques, aux relents de crise existentielle d’adolescent. Si la tonalité globale de l’album rappelle des sonorités entendues à la fin des eighties (the Pastels, the Vaselines, Heavenly), les détails prouvent, eux, que les Veronica Falls prennent beaucoup de recul sur la manière dont ils composent et qu’ils n’hésitent pas à aller chercher un peu partout leur inspiration. La batterie frénétique et garage de Patrick Doyle par exemple, qui respecte le précepte Lou Reedien du « Cymbals eat guitars » tel un maniaque des fûts, ou encore la guitare rythmique galopante (très indie-rock US) qui ne peut nous empêcher de head-banger joyeusement ("Come on over"). Sans oublier des harmonies vocales irrésistibles, portées par la teinte immaculée de la voix de Roxane Clifford et les chœurs omniprésents de James Hoare, nous ramenant vers la pop sucrée et spontanée des sixties (la so cute "Stephen" ou encore "Misery"). Vous l’avez compris le songwriting est ici un cran au dessus de la concurrence et ce n’est pas des tubes comme "Found Love in a Graveyard", "Bad Feeling" ou "Beachy Head" qui nous feront dire le contraire.

Veronica Falls est un groupe précieux qui a la capacité d’allier délicatesse mélodique et âpreté rythmique comme personne. Dépourvue du moindre artifice (+1000 pour la production), leur musique n’en dégage pas moins une expressivité puissante, aussi bien efficace pour placer quelques pas de danse que pour se laisser aller à rêver éveillé. On attend la suite avec une grande impatience.
Punching Joe
La suite :

vendredi 4 novembre 2011

Aline et Robert Crumb, Parle-moi d'amour!

un gars / une fille
Icône des comics et de la contre-culture américaine, Robert Crumb gribouille depuis plus de 40 ans des personnages aux formes arrondies et aux mœurs débridées. Fritz the cat, Mr Natural, Mr Snoïd, c’est lui. Ce qui fascine dès les premières planches c’est la liberté de ton avec laquelle il bâtit ses histoires. Des récits bourrés d’autodérision, de fantasmes sexuels, de  nostalgie, mais surtout d’un regard très critique envers son pays, dont les valeurs sont, selon lui, décadentes.
Après avoir laissé le LSD guidé son crayon pendant les sixties, Crumb s’éloigne de la culture hippie qu’il exècre et adopte une plus vie posée, accompagné de sa femme, Aline, qu’il rencontre en 1971. Car si ses travaux renvoient l'image d’un éternel misanthrope grognon, Crumb n'en reste pas moins un parfait monsieur-tout-le-monde à la ville. Au début des années 2000, le couple décide même de s’installer à Sauve, un petit village rustique du Languedoc-Roussillon qu'ils vont marquer de leur empreinte.
Aline et Robert à Sauve
Aline Crumb est elle aussi dessinatrice de comics. Elle a par exemple contribué à la revue Wimmen’s Comix ou encore à Weirdo. Dès le début de leur relation, le couple tient un journal intime sous forme de bande dessinée où ils mettent en scène leur quotidien ; chacun dessinant, dans une même case, son propre personnage. Ces planches sont d’abord éditées dans un comic au nom évocateur, Dirty Laundry (linge sale), puis relayées dans divers journaux et revues. Cet automne les éditions Denoël publient un beau livre, de près de 300 pages, qui compile certaines de ces fameuses planches. Dans Parle-moi d’amour ! on retrouve un couple qui n’hésite donc pas à laver son linge sale en public. Les dialogues foisonnants racontent aussi bien les névroses de ces amoureux improbables (Crumb le réservé VS Aline l’ex new-yorkaise extravertie) que des problèmes de réfrigérateur ou de déco. Les dessins, crées à quatre mains, peuvent déstabiliser au premier abord. Mais ils créent vite un ton atypique, avec le trait expressif et précis de Robert contrebalancé par celui plus fougueux de sa femme. Au final, ce qui lie cet ensemble chaotique c’est l'humour cinglant et déviant, qui laisse transparaître à la fois la douce folie des protagonistes et leur histoire d'amour passionnée.
Evénements :
Parallèlement à cette sortie, la Galerie Martel (Paris, 10eme) propose une brève exposition de planches originelles que l’on retrouve dans Parle-moi d’amour !. Ca commence dès aujourd’hui, vendredi 4, jusqu’au 12 novembre. Un amuse-gueule en attendant la grande exposition Crumb au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris du 13 avril au 19 août 2012.

jeudi 3 novembre 2011

Sudden Death of Stars, Getting up, Going down

Psychédélisme à la française

Y’a pas à dire, le rock psychédélique français se porte plutôt bien en cette rentrée. Après le dernier maxi des lillois de Moloko Velocet (chez Dead Bees records) voilà que les rennais Sudden Death of Stars débarquent avec un premier LP intitulé Getting up, going down. En 9 chansons ils confirment les espoirs qu’on avait placés en eux il y a un an, à la sorti de leur excellent EP.

Avec un nom d’album pareil et une pochette représentant une sorte d’énorme réacteur irréel on s’attend à un contenu hautement planant. Le premier titre, "Supernovae", confirme ces spéculations. Pour tout amateur de psyché ce morceau est un exquis moment de démagogie musicale à laquelle on ne peut qu’adhérer : sitar, tambourin, rythmique lourde et chant éthéré ; nous voilà déjà les yeux pleins d’étoiles et les oreilles frétillantes. « The perfect prescription » rajouterait même Sonic Boom. Le reste de l’album s’avère être une relecture réjouissante du psychédélisme, grâce à un savant mélange des sonorités qui ont parcouru ce genre depuis 40 ans. La production est parfaite, avec un son clair qui permet aux instruments d’entrer dans une véritable communion (tellement à l’aise que, l’air de rien, ils se permettent d’envoyer des cordes sur "I’ll be there", les coquins). Les compositions, elles, sont marquées par un grand sens mélodique et un savoir-faire hérité de leurs illustres aînés. Ainsi on passe de moments de pur garage-pop sixties redoutable ("Two", "Chilling out at set time") à des phases de rock comateux, en connexion direct avec les astres ("Song for Laïka", "I’m not among believers"). Et puis certains passages nous rappellent fortement, et avec joie, les groupes eighties auxquels on est très attaché. Par exemple, "Free&Easy", petit tube imparable, est proche du romantisme drogué de the Rain Parade (et de la scène Paisley Underground), tandis que "Deeds Beyond the Hints" et son clavier scintillant explore des galaxies jadis découvertes par les Spacemen 3. Quelle classe.
Difficile de s’ennuyer avec Getting up, going down, album qui brille tant par sa diversité que par sa maîtrise. Sudden death of Stars produit des chansons inspirées, appuyées par des sonorités très connotées mais qui ne tombent jamais dans le cliché (on salue, en effet, l’utilisation parcimonieuse du sitar). Un vrai grand album de rock psychédélique comme on les aime, et qui risque de dilater plus d’une paire de pupilles.
Punching Joe


Getting up, going down est actuellement en téléchargement gratuit sur le bandcamp du groupe, ça serait dommage de s’en passer (tout comme leur premier EP). Et une fois convaincu(e) vous pourrez commander le vinyle sur le site de Close Up ou trainer votre cul chez un bon disquaire indé. (Edit 01/07/13 : le disque est maintenant disponible chez les anglais de Ample Play ainsi qu'en cassette chez Burger Records !)

Et pour mieux les connaître, une interview cool datée de l'année dernière.

lundi 31 octobre 2011

Hors Satan

Réalisé par Bruno Dumont (sorti le 19 octobre 2011)

Depuis son  premier film, La Vie de Jésus, sorti en 95, Bruno Dumont reste un réalisateur à part dans le paysage cinématographique français. En marge de la « grande famille du cinéma » il préfère les acteurs amateurs, les petits budgets et tourner dans des décors naturels. Rarement là où on l’attend, il aime bousculer le spectateur, le mettre mal à l’aise. Ceci  passe souvent par un traitement frontal de la bestialité humaine, comme avec le très réussit mais très éprouvant Flandres. Pourtant avec Hadewijch, sorti en 2009, il opérait un virage vers un cinéma plus posé, plus méditatif. Hors Satan synthétise toutes ses expérimentations et lui permet de passer un cap en puisant toute la force de sa mise en scène dans la nature, rien de plus.
L’action se déroule en bord de Manche, sur la côte d’Opale, dans un petit hameau désert. Un ermite mystérieux (David Dewaele) vivote sur une plage en passant ses journées à chasser, prier et trainer avec une jeune fille du village (Alexandra Lemâtre). Bruno Dumont propose ici une réflexion sur les notions de Bien et de Mal, non pas dans ce qu’elles ont d’antinomique mais plutôt dans leur expression conjointe à l’intérieur d’un même être, d’une même situation. Si le réalisateur traîne avec lui un passé de prof de philo il ne faut pas voir le film comme un « essai filmique » ou une sorte de réflexion métaphysique. Au contraire, toujours très attaché à l’expressivité de l’image, Hors Satan est avant tout un brillant exercice de cinéma et de mise en scène.
Cette expressivité il va la chercher dans ce qui se donne en premier lieu, la Nature. Rares sont les cinéastes capables de filmer la peur dans un paysage (on peut penser à Boorman avec Délivrance). Jamais cette côte nordique, constamment balayée par les vents, n’aura semblé à la fois si majestueuse et si inquiétante. Pourtant Dumont n’utilise quasiment aucun artifice ; il va même jusqu’à réduire sa mise en scène à des plans fixes rudimentaires, soit larges, soit rapprochés, et toujours assez courts. Son travail sur le son est également époustouflant. Tous les sons sont directs, en mono, ce qui confère à l’image une plénitude troublante. Par exemple, l’utilisation astucieuse des micros-cravates lors de plans larges, qui permettent de  rester dans l’intimité du souffle, du battement de cœur, du personnage, et ce malgré la distance. Un procédé narratif en soi irréaliste mais qui contribue à rendre, par opposion, les moments de silence d’autant plus pesants, et de nous faire ressentir une tension malsaine.

Bruno Dumont à la projection du film au cinéma
George Méliès de Montreuil, le 19 octobre 2011
Les personnages, quant à eux,  semblent impuissants et leur humanité ne s’exprime que par touches maladroites (le personnage du garde forestier par exemple). Comme dans Flandres, le réalisateur crée un monde complètement asocial, anti-intellectuel, où l’individu est réduit à de simples mécanismes. Ce n’est pas l’humanité des personnages qui crée directement l’émotion mais leur interaction avec l’environnement. Comme si un roseau était au même niveau d’Etre que l’humain (ainsi il y a presque autant d’effroi qui se dégage de la vision en contre plongée d’une dune que d’un meurtre). Une approche perturbante mais fascinante. Dans ce nihilisme ambiant seul l’ermite semble faire le lien entre la « société » et la Nature menaçante. Agenouillé devant les pâtures il prie on ne sait quoi. Des prières païennes qui semblent pourtant lui conférer une sorte de stabilité, de paix, en contraste avec l’état des autres individus. Tout le génie de Dumont est de faire apparaitre du surnaturel, du démoniaque, à partir de cette matière sensible, et cela avec une fluidité cinématographique confondante (si l’on excepte la fin du film, ratée car trop démonstrative). Invisible mais pourtant toujours présent, ce Satan surgit lors de scènes éphémères (avec la routarde, la gamine) pour mieux retourner se cacher et infecter notre manière de percevoir le réel.
Au-delà des diverses interprétations qui n’appartiennent qu’aux spectateurs, Hors Satan est avant tout un film sensoriel comme on en voit peu. Réduit au strict minimum, la mise en scène de Dumont n’en est pas moins intense, voire magique. A nous d’accepter d’être plongés dans un cinéma où nos certitudes et nos repères sont à coup sûr malmenés, et peut-être même balayés.
Punching Joe

Bande annonce

samedi 22 octobre 2011

Portrait d'une enfant déchue

Réalisé en 1970 par Jason Schatzberg

En mai dernier la silhouette glaciale de l’actrice américaine Faye Dunaway sublimait l’affiche du 64e festival de Cannes. La photo utilisée date de 1970 et est signée par un certain Jerry Schatzberg, photographe célèbre pour son travail dans la mode et pour ses collaborations avec de nombreux artistes (la pochette de Blonde on Blonde de Dylan, c’est lui). Un hommage à son travail doublé par la présence exceptionnelle de son premier film, Portrait d’une enfant déchue (Puzzle of a downfall child). Une œuvre décriée à sa sortie en 1970 aux Etats-Unis (et ce malgré la présence de Faye Dunaway, une des actrices les plus en vue à l’époque) qui a peu à peu disparu de la circulation. A tel point que Schatzberg lui-même pensait qu’il n’existait plus de copie originale du film. C’est sous l’impulsion de Thierry Frémaux, directeur général du festival, qu’une bobine a pu être retrouvée, et restaurée, afin d’être projetée sur la croisette, puis en salles cet l’automne (dès le 28 septembre).
Du Schatzberg cinéaste on connait surtout deux films cultes : le brutal Panique à Needle Park (71) avec un Al Pacino grimé en junky et le palmé l’Epouvantail (72), chef d’œuvre méconnu du cinéma indie, avec ce même Al Pacino, accompagné de Gene Hackman. Mais avant ces succès d’estime il y a eu Portrait d’une enfant déchue. Pour cette première tentative Schatzberg pose sa caméra dans un milieu qu’il connait par cœur, celui de la mode. Il met en scène le top model Lou Andreas Sand (Faye Dunaway) qui, isolé dans une maison de bord de mer, se raconte à son ami Aaron Reinhardt (Barry Primus) venu l’interroger en vue d’écrire un film. Un personnage partiellement inspiré par le mannequin Ann Saint Marie qui fascinait Schazberg lorsque celui-ci était encore un jeune photographe.


Ce portrait est une plongée vertigineuse dans les méandres d’une âme à la dérive. Le réalisateur adopte une mise en scène discontinue, sans réelle chronologie, dont les images suivent les réminiscences de Lou. Parfois les souvenirs sont précis, parfois au contraire ils sont morcelés, soumis à la contingence d’une mémoire altérée par un séjour en hôpital psychiatrique. Schatzberg étant sûrement plus intéressé par l’expérience de cinéma que par la réalisation d’un produit bien emballé. En ce sens il fait un film presque expérimental,  pas très éloigné parfois de notre Nouvelle Vague (ce qui fait comprendre pourquoi le film a été renié lors de sa sortie américaine). Mais pour autant cette mise en scène ne doit pas réduire le film à un projet arty ou à un simple « film de photographe ». Si la première demi-heure paraît un peu obscure, l’œuvre de Schatzberg devient ensuite plus expressive, et on est alors happé par l’être de Lou qui est tout entier marqué par une profonde mélancolie.
D’une nature réservée, Lou est propulsée dans un milieu impitoyable et hypocrite, la réduisant à l’état de simple femme-objet, sur les plateaux comme en dehors. Elle est aussi naïve parfois, notamment avec les hommes qui tour à tour vont l’amputer de sa vitalité. La folie qu’elle développe alors va s’immiscer jusque dans les traits de son visage et pénétrer son corps. Instable, elle peut tout aussi bien s’émouvoir devant sa télé pour Anna May Wong et son triste personnage dans Shangaï Express, que se fantasmer en Marlene Dietrich étincelante. On imagine mal une autre actrice que Faye Dunaway pour incarner cette beauté sombre et insaisissable. Schatzberg la scrute, ne la lâche pas, pour ne jamais rater ce regard si troublant, qui à lui seul peut synthétiser tout une séquence. De plus en plus contemplatif le film se termine de manière somptueuse, d’abord par une rencontre avec un pêcheur solitaire, puis par un dialogue cathartique avec Aaron. La séance nous laisse déboussolés, et même un peu effrayés d’avoir pu aller si loin à l’intérieur d’une âme humaine.
Punching Joe

Bande Annonce

Le lien vers le site de Jerry Schatzberg, pour découvrir, entre autres, ses photos.

lundi 17 octobre 2011

Magic Trick, the Glad Birth of Love

Sur orbite

Vous le savez sûrement, ici on est plutôt des fadas de Tim Cohen, en solo comme avec les Fresh & Onlys. Ce n’est pas pour autant qu’on ne l’attend pas au tournant. Mais jusqu’ici le californien n’a fait, à nos yeux, aucun faux pas.
Fin août a débarqué son quatrième effort, The Glad Birth of Love, chez Empty Cellar Records, enregistré avec un nouveau groupe baptisé Magic Trick. On découvre étonné que la galette contient seulement quatre titres, d’une durée de 7 à 13 minutes. C’est quoi le truc, on va avoir droit à du rock-prog ? Timmy a viré mégalo ? Ou pire, il s’agit peut-être d’un concept album sur le thème de la baleine (cf la pochette) ! Bref, les spéculations vont bon train et on commence à douter. Des dizaines d’écoutes plus tard, il faut se rendre à l’évidence, the Glad Birth of Love est simplement un album magnifique.
"Let me go back into my head, where was the last place that I slept? Brambles and thorns are made my bed. Under this tree I can’t forget, my cherished one"
Après le rappeur, le garageux, le folkeux à fleur de peau, Tim Cohen revêt ici le costume de chef d’orchestre. Car oui, c’est bien les talents d’un chef d’orchestre qu’il faut pour développer de pareilles chansons, véritables montagnes russes entre folk débridée, pop atmosphérique et sonorités seventies. Prenez "Cherished One", la première piste, un vrai modèle en matière de chanson à tiroirs avec ses digressions multiples. Mais attention, pas de quoi perdre l’auditeur, puisque l’écriture fluide et aérée sublime le tout. "Daylight moon", ensuite, est l’ultime preuve de la capacité de Cohen à faire une bonne chanson avec n’importe quoi. Après un début épuré, le titre part dans un délire seventies, bien aidé par la flûte de John Dwyer et la guitare stellaire de Steve Peacock. « Epic ! » diraient les ricains, mais « perfect » conviendrait tout aussi bien. Dans la foulée, l’étrange "Clyde", sorte de conte glauque mit en musique, s’étire sur plus de dix minutes. Hautbois, violoncelle et chœurs (les fameuses « angel voices » de Noelle Cahill et Alicia Vanden Hauvel) viennent caresser nos oreilles en évitant toute grandiloquence, préférant appuyer des mélodies merveilleuses qui s’enchevêtrent et nous saisissent. "Hight Heat" clôt le disque en renforçant d’avantage l’aspect féérique entrevu avec "Clyde". A la fin du morceau, tout ce beau monde se met à siffloter, nous avec.
Chacun semble pouvoir trouver son compte dans The Glad Birth of Love, car malgré une élaboration sophistiquée, il y a l’évidence des mélodies. L’album, aux ambiances luxuriantes et très imagées, fait preuve d’une musicalité hors du commun. Si on pense au free-folk d’un Bonnie Prince Billy (genre que je viens d’inventer pour qualifier les envolées de l’américain) ou à la pureté pop des Kingsbury Manx, c’est peut-être aux sons oniriques de Robert Wyatt qu’on assimilera plus volontiers sa démarche. Bref, une fois de plus, Tim a su nous séduire et à moins qu’il ne se mette à faire des duos avec Cocoon (cf la baleine) le charme n’est pas prêt d’être rompu.
Punching Joe

The Glad Birth of Love, Empty Cellar Records, 2011.
Magic Trick se compose de Tim Cohen, Noelle Cahill, Alicia Vanden Hauvel et James Kim. Le très bel artwork est signé par Kevin E. Taylor.

lundi 3 octobre 2011

Castle Face Records presents, Group Flex

Objet de culte


Déjà gavés que nous sommes par les sorties de disques, quasi hebdomadaires, provenant des groupes de la baie de San Francisco, voilà que débarque un objet musical improbable, rare et barré, sensé capté la vitalité de cette scène, ô combien passionnante : le Group Flex.
Imaginé par John Dwyer (leader de Thee Oh Sees) et son label Castel Face Records, Group Flex est une compilation vinyle qui réunit 5 groupes de Frisco (Blasted Canyons, Bare Wires, the Fresh & Onlys, Thee Oh Sees et Ty Segall accompagné de Mikal Cronin) chargés de jouer deux morceaux chacun. Mais c’est le support qui accueille ces enregistrements qui nous interpelle. Le Group Flex se présente en effet sous forme d’un petit livre cartonné à spirales, percé en son centre, contenant des pages illustrées et des 45 tours étranges, puisque flexibles. Ce sont en fait des flexi-discs, un format promotionnel éphémère que l’on trouvait dans les années 70-80 à l’intérieur de magazines et qu’il suffisait de détacher et de mettre sur la platine. Dans le cas présent il faut donc poser le livre sur la platine et jouer le livre ! Marqué pendant son enfance par ces objets bizarres, John Dwyer a voulu les réhabiliter à l’occasion de cette sortie. Les pages restantes, illustrant chaque groupe, sont tout aussi magnifiques. Elles sont signées William Keihn (déjà illustrateur de pochettes pour Thee Oh Sees ou Ty Segall) et parodient de vieilles boites de jouets.
Après quelques heures d’admiration béate, il est temps d’écouter ce que ça donne. Encore une fois on ne se fout pas de notre gueule puisque tous les morceaux sont inédits (sauf pour Blasted Canyons). Les Fresh & Onlys envoient deux titres courts, un brin lo-fi, aux mélodies encore une fois exquises. Les fans de la première heure seront ravis par ce retour aux sources du groupe de Tim Cohen. Les Bare Wires sont aussi au rendez-vous et font preuve, comme d’hab’, d’un sens du groove impressionnant, appuyé par des riffs tranchants et des refrains tubesques. De quoi patienter avant leur prochain album, Cheap Parfume, et leur tournée française. Thee Oh Sees quant à eux décident de mettre le feu à la baraque. Ils invoquent ainsi le son bouillonnant de Warm Slim et celui délirant de Castlemania, pour un résultat enivrant à base de kraut-rock hypnotique, de fuzz et de cris en tous genres. Dans la foulée Ty Segall et Mikal Cronin (the Moonhearts) font monter un peu plus la pression. Si ce bon vieux Ty avait ralenti le tempo sur son dernier effort solo (Goodbye Bread), on devine que lorsqu’il retrouve son pote de lycée, ce n’est pas pour jouer à la dinette, souvenez-vous du chantier de Reverse Shark Attack. Ici ils décident de reprendre du Bowie, "Fame" et "Sufragette city" pour être précis. Le rendu est prodigieux : du garage joué à fond, jusqu’à la suffocation. « Fame » notamment, et son riff éléphantesque qui assomme l’auditeur en moins de 10 secondes. Un grand moment de rock’n’roll. Enfin, le rôle de petit nouveau est endossé par Blasted Canyons. Le trio, dernière signature de Castle Face, fait très forte impression, notamment grâce à un mur du son tonitruant. Une batterie primitive vient soutenir un clavier et une guitare dont les effets psyché donnent le tournis, tandis que les chants bataillent pour se faire une place dans tout ce fracas. Solides, inspirés et spontanés, les Blasted Canyons sont à suivre de près, de très près.
On ne pouvait rêver plus bel objet pour honorer les magnifiques sons qui parcourent les rues de la ville depuis quelques années. Ce Group Flex s’impose déjà comme un disque culte et précieux, tant sur le plan plastique que musical. Probablement sur le point d’être épuisé il va falloir batailler si vous voulez vous le procurer…ou attendre patiemment le volume 2 !
Punching Joe
Tracklisting :
Fresh&Onlys : "When are you gonna grow up", "You're only happy when you know"
Blasted Canyons : "Death and a half", "Ice cream man"
Thee Oh Sees : "Burning spear", "What you need (the porch boogie thing)"
Bare Wires : "The right time", "Wanna fight"
Ty Segall&Mikal Cronin : "Fame", "Sufragette City"
Bonus track : Here comes the here comes "Ha Ha Ha"

Blasted Canyons "Ice Cream man"

Ty Segall&Mikal Cronin "Fame"

The Fresh&Onlys "When you gonna grow up"

vendredi 30 septembre 2011

Los Herederos

(réalisé par Eugenio Polgovsky, 2008 et actuellement en salles)

A l’heure où les deux remakes pitoyables de la Guerre des boutons nous montrent des gamins lisses et mielleux à souhait, Los Herederos (Les héritiers) préfère s’immiscer, avec une sobriété toute autre, dans le quotidien d’enfants qui ont reçu un héritage dont ils se seraient bien passés : la misère. Eugenio Polgovsky, jeune documentariste, pose sa caméra aux quatre coins de la campagne mexicaine et filme, durant une journée, la vie de ces jeunes, âgés pour la plupart de 3 à 10 ans. Leur seule activité : travailler pour survivre (découpe de bois en pleine montagne, maçonnerie, récolte de tomates, etc.). Achevé en 2008 le film a vécu de festivals en festivals avant de sortir enfin sur les écrans français le 21 septembre dernier. Très peu distribué (à peine 7 salles sur tout le territoire en première semaine) il n’en reste pas moins un documentaire exemplaire, comme on aimerait en voir plus souvent.
Avec ce film Polgovsky s’impose comme un cinéaste, et a fortiori un journaliste, très talentueux. Il s’en remet à la seule expressivité du réel et ne charge le récit d’aucun commentaire en voix off. Un pari qui semble osé mais qu’il tient d’un bout à l’autre grâce à une science du cinéma vraiment impressionnante. A la manière d’un Raymond Depardon, sans rien dire, il dit tout ; car, par ailleurs, les niveaux de lecture sont multiples (travail des enfants, dérives du capitalisme, société de consommation, etc.) mais ils ne viennent pas polluer l’œuvre en elle-même, avant tout artistique. Pour ne pas tomber dans un misérabilisme dégoulinant, ce qui serait pourtant très facile avec un tel sujet, le réalisateur utilise une mise en scène subtile et un montage minutieux. Les enfants sont filmés, caméra à l’épaule, comme des petits aventuriers qui doivent surmonter divers épreuves (cf. les scènes dans la montagne). Ainsi le film oscille entre une réalité d’une violence parfois insoutenable et ce regard attendrissant qui créé une émotion sincère. Le montage cyclique des scènes de labeur finit par mécaniser les gestes des enfants, à tel point qu’on les perçoit parfois comme des petits adultes, évoluant dans un microcosme bien à eux, un peu comme si on se trouvait dans le monde de Peter Pan ou sur l’île de Sa Majesté des mouches.
En effet on ne voit presque aucun adulte, seulement des silhouettes ou des ombres fuyantes. Selon Polgovsky ce n’est pas un choix de sa part mais bien une réalité. Les parents, notamment les pères, partent souvent gagner de l’argent en ville. Reste donc les enfants…et les vieux. La vieillesse n’a ici rien à voir avec la sagesse, elle est au contraire montrée comme une décrépitude, le fardeau d’une existence écrasée par la pauvreté. Polgovsky n’hésite pas à faire des parallèles entre ces deux générations (des dos courbés, des regards vagues) ce qui renforce le côté tragique de ces vies.
C’est donc un Mexique à mille lieux des trafics de drogue et de l’immigration clandestine que l’on découvre. Le travail des enfants y est depuis longtemps dénoncé par les organisations internationales mais il reste un véritable tabou pour la population.
Los Herederos est définitivement un film à voir. Un exemple de travail journalistique, jamais complaisant, jamais putassier, soutenu par un cinéma inventif et léger. Une légèreté que l’on retrouve parfois chez les gosses, comme un sursaut d’innocence éphémère, au détour de chamailleries, de rires, ou de la magnifique scène de danse qui clôt le film.
Bande annonce

Punching Joe

mardi 27 septembre 2011

Teen Spirit

Malgré ce titre évocateur, il ne sera pas question ici de célébrer l’œuvre de Nirvana à l’occasion du vingtième anniversaire de Nevermind (oui c’est dommage je vous l’accorde) ni même de parler de Gus Van Sant, de Twilight ou encore de WOW. Mais vous voyez bien où je veux en venir, le point commun de tout ça c’est les d’jeuns, les ados quoi. Et c’est justement le thème qu’a choisi Arts Factory à l’occasion de ses quinze ans pour réunir des travaux d’artistes confirmés ou émergents.

Commençons par le commencement pour ceux qui ne sont pas encore au courant. Arts Factory c’est un projet qui débute en 1996 sous forme d’une galerie dans le quartier des Abbesses à Paris. Les deux fondateurs, Effi Mild et Laurent Zorzin se spécialisent rapidement dans le dessin alternatif et deviennent alors un vrai soutien pour un milieu dont certains artistes sont aujourd’hui connus et reconnus (Pierre la police, Jean Lecointre…). Arts Factory se lance aussi dans l’édition en proposant, entre autres, la géniale collection "dans la marge" avec une idée fabuleusement simple : abandonner un élémentaire petit cahier d’écolier aux mains d’un dessinateur talentueux et attendre le résultat. Le premier volume de la collection est signé par notre ô combien vénéré en ces pages, le papa de l’anti-folk Daniel Johnston. Arts Factory, après un déménagement à Montreuil devient aussi "galerie nomade" en faisant voyager les artistes qu’elle affectionne de lieux en lieux et de villes en villes.


Daniel Johnston

Et c’est donc sur ce même principe que mardi dernier la vagabonde a pris ses quartiers à l’Espace Beaurepaire dans le dixième arrondissement de Paris afin de fêter son anniversaire. On pourrait résumer la chose ainsi : une super expo dans un chouette endroit. Pas de boum au programme certes mais un sacré plongeon dans le monde de l’eau précieuse et des premiers émois, le tout avec humour et poésie.

Aussi ceux qui habitent ou séjournent à Paris pourront directement se rendre au 28 rue Beaurepaire (attention jusqu’au 8 Octobre seulement !), à deux pas de la place de la République pour admirer les œuvres de Nine Antico, Charles Burns, Danny Steve, Ludovic Debeurme, Véronique Dorey, Daniel Johnston, Kikifruit, Les Frères Guedin, Fanny Michaëlis, Loulou Picasso, Ragnar Persson, Tom de Pékin, Brecht Vandenbroucke… Les autres peuvent commencer à farfouiller sur le net en attendant que l’expo déménage plus près de chez eux ou qu’Arts Factory organise un truc sympatoche dans leur secteur. Notez qu’une rétrospective Daniel Johnston est prévu au Lieu Unique à Nantes début avril avec en prime un petit concert…bande de veinards ! (cela dit je crois que l’expo est itinérante, à vérifier).

Bref revenons à nos ados en crise. L’expo Teen Spirit place en exergue les grands Black Hole Teens du célèbre Charles Burns (par exemple la pochette de Brick by Brick d’Iggy Pop c’est lui), des portraits façon album photos du lycée, en noir et blanc, représentant de jeunes gens aux physiques franchement inquiétants. Touchés par un mystérieux virus, ceux-ci se retrouvent en proie à des transformations de faciès peu communes et carrément dégueux.


Charles Burns

J’ai particulièrement adoré le travail de Danny Steve qui, comme son pseudonyme ne l’indique pas, est UNE dessinatrice et artiste graphique. Elle présente, entre autres, dans le cadre de Teen Spirit des dessins constitués d’innombrables petits cercles et spirales (faits au stylo si je ne m’abuse) et qui, selon une technique quasi impressionniste, une fois le recul nécessaire pris, forment des paysages, des skateurs en pleine action et autres personnages. Un travail minutieux et lyrique.


Danny Steve

J’ai bien ri devant les planches des Frères Guedin qui, dans un ton nettement plus graveleux, nous dépeignent les bouleversements corporels des jeunes gens et la rébellion de leurs sales esprits de petits vicelards. Je vous laisse le soin de relever le nombre de phallus incrustés dans ces magnifiques dessins en noir et blanc.


Les Frères Guedin
("les garçons ne restent pas de glace quand Lucie la déguste")

L’expo Teen Spirit nous permet aussi d’admirer des planches de la bande dessinée Lucille (prix Goscinny en 2006 et Essentiel du festival d’Angoulême en 2007) de Ludovic Debeurm ; mais aussi certaines de la dessinatrice Nine Antico, avec ses héroïnes aux looks un brin rétro et leurs propos hilarants, tout en potins et considérations existentielles sur les mecs. Nine Antico signe d’ailleurs l’affiche de l’expo.


planche de Girls don't cry, Nine Antico

Au côté des dessins fulgurants de notre Daniel Johnston j’ai aussi apprécié ceux faussement naïfs et enfantins de Brecht Vandenbroucke dont l’apparence gaie et colorée cache une nature génialement glauque. Pareil pour Fanny Michaëlis avec ses dessins crayonnés qui revêtent un aspect doux et sage pour mieux révéler, eux aussi, leurs tournures inquiétantes.


Brecht Vanderbroucke

Fanny Michaëlis

Une fois que vous aurez fait le tour de cet hymne à l’âge bête (que je ne vous décris ici que partiellement), vous replongerez vous-mêmes dans vos souvenirs d’ados attardés grâce à une part de l’exposition mise en place par la revue Collection, sous forme d’une présentation « ethno/graphique ». Au milieu de leurs charmants dessins, les acteurs de la revue (Sammy Stein, Julien Kedryna, Marine le Saout, Vanessa Dziuba et Jean-Philippe Bretin) nous offrent un dédale d’objets et de bricoles qui nous rappellent tous quelque chose. Que se soient les cahiers de fans remplis soigneusement d’images découpées dans les magazines, les bijoux immondes achetés comme souvenirs de vacances, les mots échangés avec meilleures amies et autres copines hystériques, les trousses graffées au stylo bic, les vignettes de la série Beverley Hills et même un drapeau à l’effigie des 3T. Mais si les 3T souvenez-vous, les neveux du feu Mickael Jackson ! D’ailleurs c’est tellement la classe de clore un article en parlant de ces trois BG que je n’ajouterai rien…si ce n’est…allez voir l’expo Teen Spirit !
 Hanemone
(note de bas de page du 05/10/2011 pour dire qu'en fait, une boum est bien prévue au programme !!! Le flyer est à voir par là : http://pantheone.blogspot.com/ )